17/07/2025

Viticulture et Biodiversité

Produits phytosanitaires, mécanisation, désherbage intensif, la viticulture est bien souvent associée à une culture intensive aux antipodes de toute considération environnementale. Et si les deux n’étaient pas incompatibles ?

Rencontre avec Boris Champy, dont le domaine de 12ha certifiés par les labels Ecocert et Demeter est l’un des pionniers 
de l‘agriculture biologique et de la biodynamie en Bourgogne.



Aborder la vigne, synonyme de culture intensive, n’est pas des plus aisé quand on souhaite parler de biodiversité. Préserver le terroir et la biodiversité tout en produisant un vin de qualité, cela est-il compatible aujourd’hui ?  

BC : La côte viticole de Bourgogne est intimement liée à un paysage avec de la forêt sur le dessus, des vignes en coteaux et à plat et un mélange culture et forêt dans la plaine. Il est vrai que dans la partie plus plate la vigne est devenue une mer de vigne en monoculture. Cela est dû à plusieurs choses :

  • Quand c’est plat tout est cultivable, et avec la mécanisation, le parcellaire est devenu très simple. (c’est identique dans les régions viticoles célèbres : Bordeaux et Champagne)

  • Dès qu’il y a un peu de pente, des talus, des murs et des murgers viennent apporter de la diversité (de l’espace non-cultivé). Une bonne partie des Coteaux et des Hautes-Côtes garde un maillage d’arbres, de haies, de talus, de murs en pierres sèches et autres murgers qui constituent une belle diversité de milieux.

La monoculture est aussi engendrée par notre système d’appellation qui sanctifie le lieu-dit ou « climat » et où toute la terre se retrouve cultivée en vigne dans certains lieux. Des surfaces avec des arbres, des haies, des bosquets ont été replantées pour avoir plus de vignes. Le retour en arrière est difficile mais pas impossible. Il faut que les vignerons, les familles et/ou les propriétaires du foncier se mettent d’accord pour laisser un peu de surface à la nature.

Le classement des Climats Unesco de la côte et le classement Natura 2000 des Hautes-Côtes permet de protéger plusieurs de ces aspects de notre territoire.

Que se cache derrière un vin de qualité ? Le travail du vigneron(ne) aux vignes et en cave, le sol de la vigne avec ses caractéristiques (pente, cailloux, argile…), les conditions du millésime et l’héritage historique du lieu (cépages…). La biodiversité n’est pas un obstacle pour la qualité. Au contraire, si la biodiversité empêche l’érosion, préserve le sol, elle garantit le futur du terroir.

Nous savons que la viticulture/l’oenologie qui utilisait des engrais chimiques, beaucoup de pesticides divers et variés, des sélections clonales, des techniques industrielles en cave ne produisait pas des grands vins.

Je prends un exemple tout simple : les guêpes participent à la vinification, en effet des scientifiques ont montré que l’hiver les levures de fermentation sont conservés dans leur estomac, sans guêpes il n’y aurait pas de levures sur les raisins, la biodiversité est bien utile.

                    « La biodiversité n’est pas un obstacle pour la qualité : […] elle garantit le futur du terroir »

 

vigne biodiv

 

A l’échelle de votre exploitation, comment travaillez-vous à mieux préserver, voire favoriser cette biodiversité ? Est-ce plus difficile à mettre en place qu’une viticulture conventionnelle (moyens humains et matériel, charge de travail, coût…) ?

BC : Nous distinguons 2 espaces :

1/ L’espace extra-parcellaire : Nous sommes sur le domaine la 2eme génération qui conserve les haies, des arbres isolés, replante des haies, replante des arbres, replante des vergers. Nous continuons de constituer des murgers lors des préparations de parcelles nouvelles (épierrage). Bien sûr, tout cela demande de l’entretien, nous avons une épareuse pour les abords de parcelle. Nous avons des moutons qui entretiennent des pelouses calcaires existantes et la vigne l’hiver. Nous avons comme projet en cours la réouverture d’une pelouse calcaire dans une ancienne forêt de pins noirs.

Juste en 2024 nous avons vu : des Alouettes Lulu qui ont niché au sol dans notre verger (entretien par un simple fauchage en fin d’été), un couple de faisans (issu d’un lâché!) s’est installé dans une de nos haies. Nous voyons un nombre important d’espèces sauvages : Grives, Perdrix, Lapins, Lièvres, Chevreuils, Huppes fasciés, Pic Noirs, Circaètes, Buses, Faucons crécerelle, Milan noir et royaux, Blaireaux, Renards, Cigales, Lucanes, Lézards verts … c’est une satisfaction.

2/ L’espace intra-parcellaire : 100% de nos parcelles sont semées en engrais verts à l’automne (orge, avoine, trèfles, fèveroles, pois…). Le matériel viticole est différent : semoir, broyeur et roulage ont remplacé le labour. Nous travaillons juste sous les ceps avec des lames dites inter-ceps. Il faut du temps pour maitriser les techniques nouvelles.

Les engrais verts ou couverts végétaux introduisent de la diversité, surtout en hiver, le sol est couvert de plantes au lieu d’être nu. Nous avons constaté très rapidement le retour des rongeurs, notre chien passe tout l’hiver à creuser pour les attraper ! Nous avions des parcelles très caillouteuses avec peu de vers de terre épigés, le semis de trèfle fait très vite revenir les vers de terre. 

C’est plus cher que la viticulture conventionnelle, plus de temps est nécessaire pour s’occuper du sol. Il faut pouvoir valoriser cela en vendant les bouteilles à un prix rémunérateur.

Les experts du sol disent que le taux de matière organique en France dans les terres agricoles a été divisé par 2 en 50 ans, ce que la Chambre d’Agriculture de Côte d’Or constate dans ses analyses, nous sommes passés de 3-4% à moins de 2%. Avec nos couverts végétaux ainsi que la restitution des sarments de vigne nous sommes dans la situation où la matière organique est bonne : 3-4% et avec une bonne dégradation. Ceux qui ont épuisé la matière organique vont devoir un jour ou l’autre la rétablir : soit avec des apports extérieurs organiques, soit avec des jachères. Certains sols ne seront pas un cadeau pour la prochaine génération.

Dans les années 1990 des groupes « viticulture raisonnée » ont permis d’avancer pour réduire des excès d’utilisation des produits phytosanitaires. Les groupes « viticulture avec biodiversité » ne connaissent pas la même dynamique c’est dommage. Il faudrait aussi dans les lycées agricoles enseigner l’écologie, les écosystèmes, l’importance du sol…

 

Avez-vous constaté une différence dans la vigueur des ceps et la qualité de vos vins ? 

BC : Notre approche intra-parcellaire vise à préserver le sol. Le respect du sol fait que celui-ci garde ses fonctions : le sol doit permettre à l’eau de pluie de pénétrer, le sol doit permettre aux racines de se développer pour nourrir la plante, le sol doit contenir de l’air pour les macros et microorganismes qui respirent. Le pédologue qui suit mon domaine (Christian Barneoud) dit que le sol est une maison, un lieu de vie qui abrite et protège, lieu où on se nourrit, lieu connecté à l’extérieur avec des flux qui rentrent (restitution sarments et engrais verts, pluie) et qui sortent (les raisins) pour bien vivre il faut une maison en bon état ! Sur ces sols vivants, les vignes sont belles, vigoureuses et produisent de belles récoltes, abondantes et qualitatives.

Sur l’érosion c’est spectaculaire : nous avons zéro perte de terre fine, alors que dès qu’il tombe un orage de 30 mm les sols tassés perdent de la terre fine par une érosion facile à voir (dépôt d’argile et limons en bas de parcelle). Sur le long terme la perte de terre fine est très dommageable pour la qualité du vin.

Le vin produit sur un sol vivant où la vigne n’a pas de carence ou d’excès, est meilleur que sur un sol à problème, ceci est admis par tous les vignerons. Dans les derniers millésimes parfois secs, nos vignes supportent mieux le manque d’eau, et ceux humides les engrais verts ont aussi des avantages contre l’asphyxie…

abeille vigne

 

Votre engagement va au-delà du simple respect de l’environnement. Qu’est-ce qui amène des viticulteurs comme vous à une telle démarche ?

BC : J’ai débuté ma carrière professionnelle en Californie, pendant 10 ans j’ai travaillé dans un beau domaine de 50 ha qui construisait une grande cave. Une loi en Californie demande lorsque l’on construit une cave (un objet « industriel/commercial ») dans une zone agricole de consacrer 10% du budget de la construction à un projet écologique. Nous avons décidé de restaurer une petite rivière qui traversait le Domaine. En premier nous avons dressé un inventaire de la flore pour éliminer toutes les espèces invasives venues d’Europe (avec les colons européens !) pour replanter des espèces locales (californiennes). Nous avons mis en place des mesures contre l’érosion en revégétalisant les fossés… la végétation fait de l’ombre, la température de l’eau de la rivière baisse, l’objectif était de faire revenir les truites sauvages californiennes dans les rivières dans un premier temps, puis ultimement le prédateur des œufs de truites : le saumon du Pacifique. Plusieurs vignerons ont fait la même chose, des aménagements importants ont été réalisés pour améliorer les cours d’eau et 5 ans après la restauration j’ai vu des saumons remonter la rivière et j’ai compris que si des efforts collectifs étaient engagés, tout était possible. Ces efforts étaient coordonnés par le « Fish and Game Department » et les organismes de protection des cours d’eaux de Californie avec une volonté écologique affichée.

La nature nous offre des raisins qui font du vin, en échange nous devons lui rendre quelque chose, au minimum préserver sa diversité. Surtout je ne crois pas à des espaces « cultivés stériles » d’un côté et des espaces « naturels sanctuaires » d’un autre, je crois à des espaces qui communiquent en harmonie.

En Californie, les écosystèmes ont été intacts jusqu’en 1870, les amérindiens natifs étaient peu nombreux et respectueux. L’impact de la mise en culture des terres, du développement des villes, et des routes a été très brutal, dommageable et facile à voir/mesurer. Dans notre vieille Europe où l’agriculture a 8000 ans il est plus difficile de constater la perte ou le manque de biodiversité puisque le dommage est ancien.

 

Votre vision de la viticulture bouscule les codes et sort des pratiques traditionnelles. Comment la conduite de votre domaine est-elle perçue par vos confrères ? Y a-t-il des actions concrètes simples qui peuvent être mises en place par n’importe quel domaine viticole ?

BC : Je répondrais en disant que la tradition c’est la transmission du feu et non le culte des cendres. 

Le doyen du village de Nantoux me racontait qu’il se souvenait que « rue de la gare », où est situé notre domaine, du début du siècle jusqu’en 1938 un train passait et s’arrêtait pour charger des caisses de vin, de cassis, de pêches, de framboises, des légumes … produits localement. Chaque domaine avait des chevaux pour cultiver la vigne, des prés pour faire du foin. Chaque vigneron avait aussi des vaches qui allaient sur la pâture communale. La tradition de la monoculture est donc bien récente. Sans vouloir revenir à la polyculture pour tous, il doit y avoir un équilibre entre les 2 systèmes.

Pour qu’un domaine fasse le pas vers l’introduction de biodiversité, il faut qu’il trouve une première action qui lui plaise : cela peut être de replanter des fruitiers, de faire des semis de couverts végétaux, des jachères pendant le repos du sol…de nombreux vignerons vont dans ce sens.

                 « La tradition c’est la transmission du feu et non le culte des cendres »

 

Un des éléments très importants de la problématique en Bourgogne est la densité de plantation : les fortes densités de plantation (1 m entre les rangs) imposent une viticulture qualitative mais très compliquée, et avec peu de place pour la biodiversité. Beaucoup de domaines sont piégés par cela. De beaux projets de vignes plus larges sont en cours (le Domaine Leflaive à Nantoux, Le Domaine Rateau à Bouze les Beaune) j’espère que ça aidera à faire évoluer les pratiques.

Nous pratiquons le pâturage hivernal avec un petit troupeau de moutons dans nos vignes, mais aussi chez des voisins qui sont très contents aussi de réintroduire des animaux dans leurs vignes. Il y a un vrai mouvement en cours, le pâturage des vignes se développe.

moutons vignes

 

Avec le changement climatique, les pratiques culturales vont être amenées à être adaptées. Une vigne aujourd’hui riche en biodiversité sera-t-elle plus résiliente face à tous ces changements ?

BC : Lorsque le mouvement de la biodynamie est arrivé en Bourgogne au début des années 1980, la motivation était de produire de meilleurs raisins avec des vignes ancrées dans leur terroir, avec un sol vivant dont on s’occupe avec attention. Il est apparu assez vite que ce respect du sol permettait de produire des vins meilleurs, ce qui a conduit beaucoup de domaines dont les plus réputés à des pratiques allant dans ce sens (travail du sol, compost, fumure organique…).

Lors des derniers millésimes avec de la sécheresse, et l’effet du changement climatique (plus d’extrêmes), il s’avère que le fait d’avoir un système racinaire profond, un sol vivant avec de la matière organique qui permet d’avoir une bonne alimentation, et des récoltes de meilleure qualité et quantité.

Nous pouvons dire qu’il y a deux aspects dans la biodiversité : l’un qui est d’offrir un habitat et un milieu qui permet à de nombreuses espèces de la flore et la faune de vivre (lézards, oiseaux…) ; et un autre aspect « fonctionnel » qui permet de pérenniser nos cultures : les haies qui limitent l’érosion, les couverts végétaux qui régénèrent les sols entre 2 plantations…c’est bien une forme de résilience.

- Boris Champy, viticulteur à Nantoux